D’après la synthèse du rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC)[1] publié en 2014, l’homme influence le climat de la planète, étant donné les six milliards d’individus qui, par leurs activités multiples et variées, agissent sur les écosystèmes.
Ce deuxième numéro de la Revue Internationale de Géomatique, Aménagement et Gestion des Ressources (RIGAGER) publie les résultats de l’évaluation de l’impact de l’homme, à travers ses activités, sur la végétation du bassin du Congo à l’aide des outils de la technologie géospatiale afin de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique provoqué par les émissions de gaz à effet de serre. Ceci est d’autant plus important que le phénomène de l’effet de serre concerne tous les pays, du Nord comme du Sud, qui doivent se donner la main pour comprendre et traiter au mieux le problème de l’effet de serre. C’est la condition Sine qua non de la réduction des impacts des changements climatiques anthropiques et de la promotion de la gestion durable des terres et du développement maîtrisé.
Pour autant, si l’implémentation d’une comptabilité environnementale intégrée prend de l’importance, l’ajustement du Produit Intérieur Brut –PIB- (de la comptabilité générale) par l’intégration des mesures monétaires de l’épuisement, de la dégradation et des dépenses de protection de l’environnement pour calculer un «PIB vert» ne fait pas encore consensus pour différentes raisons techniques.
De plus, le système de comptabilité environnementale ne prend pas encore en compte les services rendus par les écosystèmes et qui, pour partie, ne font pas l’objet de transactions monétaires (services de régulation du sol ou de l’eau, par exemple, «offerts» par les écosystèmes).
Des comptes des écosystèmes permettraient, en effet, de fournir une vision d’ensemble de l’état des écosystèmes et une description détaillée des pressions qu’ils subissent afin de prendre en compte ces éléments dans la prise de décision publique.
C’est pour ces raisons que l’intégration de la valeur des écosystèmes dans les systèmes de comptabilité nationale a été décidée comme deuxième objectif du plan stratégique Biodiversité, adopté à la dixième conférence des Parties, à la Convention sur la diversité biologique de Nagoya[2] en octobre 2010. L’ensemble de ces tentatives a été fédéré par la Banque Mondiale au sein d’un partenariat : l’initiative WAVES (Wealth Accounting and Valuation of Ecosystem Services)[3].
La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) préconise aux parties d’intégrer dans leur comptabilité nationale les valeurs de leur capital naturel. A part la CDB, la division des statistiques des Nations Unies a produit des normes statistiques pour cadrer cette approche. La Banque Mondiale a déjà financé plusieurs applications de la comptabilité écosystémique par le programme WAVES qui consite en la comptabilité du Patrimoine et en la Valorisation des Services Ecosystémiques pour aider les pays à intégrer la valeur du capital naturel dans les comptes nationaux. Il travaille à développer des méthodes scientifiquement crédibles pour la comptabilité des écosystèmes et favorise leur utilisation dans le processus décisionnel au sein d’un large éventail de parties prenantes. La comptabilisation des écosystèmes passe toujours par l’établissement de cartes d’occupation des sols. Cette cartographie se fait désormais, principalement par l’utilisation des images satellites.
Ce deuxième numéro de RIGAGER interroge les dynamiques des forêts et leur potentiel de séquestration du carbone dans le bassin du Congo. Il regroupe 10 contributions. Ainsi, l’article de Onguene et al., qui est en fait un keynote, porte sur les enjeux et les opportunités scientifiques de l’évaluation de la capacité de séquestration du carbone dans le bassin du Congo. Anaba, précise la place des formations boisées marginales du bassin du Congo dans les mécanismes et les processus REDD + tandis que, Ndjuala et al. et Teweche et al., et Zephania Nji Fogwe analysent les mécanismes et les facteurs des dynamismes des formations forestières respectivement dans les massifs forestiers du mont Cameroun, dans les réserves forestières de Zamay et de Mayo Louti et sur les monts Oku respectivement. Les modes d’exploitation et/ou de gestion des ressources forestières naturelles ou anthropiques sont interrogées par Youta Happi dans la localité de Koupaba, Mbengue et al., avec une approche historico-géographique et Muderwa et al. dans et autour du Parc National de Kahuzi Biega en République Démocratique du Congo. L’impact de la croissance urbaine et de l’agroindustrie sur la forêt est évaluée par Yapi –Diahou et al. en Afrique au Sud du Sahara en général et par Yamafouo et al. dans l’estuaire du Wouri au Cameroun.
De ces contributions scientifiques, il ressort qu’il faut intensifier la vulgarisation des résultats de l’usage de la télédétection pour l’évaluation des dynamiques des paysages forestiers et de la capacité de séquestration de leur carbone dans le monde et spécifiquement à l’intention des gestionnaires des forêts du bassin du Congo. La poursuite de l’exécution des programmes de facilitation de l’accès aux images via des satellites et des drones à l’instar du programme Observation Spatiale des Forêts Tropicales (OSFT) est déterminante pour cet axe de recherche. Cette initiative, financée par l’Agence Française de Développement, met à la disposition des pays d’Afrique Centrale, des images satellites à haute résolution acquises par le satellite SPOT. Les images de Sentinel présentées par Jean Paul Rudant viennent compléter la gamme de ces données en libre-service. Mais il faut créer des programmes de Licence et des Master professionnels sur l’utilisation judicieuse, efficace et efficiente de ces outils, à l’instar du Master GAGER (Géomatique, Aménagement et Gestion des ressources) de l’Université de Ngaoundéré ; l’objectif final étant de mettre à la disposition des États parties, des Décideurs et des Organisations de la Société Civile des outils d’aide à la décision efficaces et efficients pour une gestion durable des ressources forestières.
En fait, les forêts abritent une diversité biologique (ou biodiversité) très importante, rendent un bon nombre de services vitaux et peuvent stocker bien des gaz à effet de serre comme le CO2. La mondialisation a toutefois pour effet de renforcer la pression sur ces forêts, notamment en milieu tropical. Il est, par conséquent, indispensable de collaborer à leur gestion durable à l’échelle internationale, afin de lutter contre le réchauffement climatique, de protéger l’environnement, de lutter contre la pauvreté et de préserver la vie sur terre.
C’est ce souci qui est à la base de la création, en 2005 par les principaux pollueurs du monde, du programme UN-REDD+ qui signifie Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation forestière. L’ajout du « + » correspond à la prise en compte de l’augmentation des stocks de carbone, par exemple via des pratiques sylvicoles adaptées ou des plantations. Des projets de grande valeur ont été initiés par des ONG, des entreprises, des gestionnaires de projets, des forums régionaux et internationaux, ainsi que des autorités nationales et régionales. Toutefois, bon nombre d’abus, dûs surtout au manque de clarté concernant ce qui peut être ou non identifié «REDD+» ont été relevés à toutes les échelles. C’est pourquoi, Alain Karsenty (2015) note que «conçu pour aider les pays du Sud à diminuer leurs émissions liées à la déforestation, le mécanisme REDD+ n’a, jusqu’à présent, pas vraiment rempli son rôle et a donné lieu à des pratiques douteuses» car la déforestation en milieu tropicale ne représente que 10 à 15 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre liées à l’activité humaine. Le financement du dispositif devait reposer sur des permis d’émission que les pays du Sud ayant réduit leur déforestation auraient vendu aux pays du Nord. La négociation n’a cependant pas encore pu trancher ce point, plusieurs pays, à l’instar de la Bolivie, s’opposant à ce qu’ils perçoivent comme une tentative de marchandisation de la nature. Une alternative serait de mobiliser le Fonds vert pour le Climat, créé en 2009 à Copenhague. Mais il n’a toujours pas honoré sa promesse de réunir 100 milliards de dollars par an.
Au demeurant, REDD+, au stade actuel, semble un instrument d’une complexité inextricable qui ne fait que le bonheur des consultants, des cabinets d’expertises et de quelques administrateurs dans les pays tropicaux[4]. Son efficacité supposée repose sur le principe du paiement aux résultats. Or l’appréciation de ces résultats repose sur la fabrication de scénario de référence du type « que se passerait-il si l’on ne faisait rien ? », invérifiables par définition (parce que si le projet est réalisé, le scénario ne peut être observé) et donc aisément manipulables. D’autres difficultés, comme l’annulation de la réduction des émissions, si la déforestation reprend, font que le processus de négociation peine à proposer des règles opérationnelles pour mettre en oeuvre ce mécanisme. Sa seule réalité tangible est constituée des nombreux projets de conservation de la forêt estampillés «REDD+» (Karsenty, 2015)[5].
Ce principe non-interventionniste ne peut tenir très longtemps face aux pressions des ONG qui craignent une confiscation par les États, des droits d’usage des communautés locales sur les forêts, ou une destruction de la biodiversité au profit de plantations d’arbres pour stocker du carbone. Dans la logique «participative et inclusive» de la gouvernance internationale de l’environnement, les États parties de la convention climat ont introduit de nombreux garde-fous, rendant le mécanisme REDD+ encore plus difficile d’application. Dans un contexte d’effondrement du prix des permis d’émission et de fragmentation des marchés du carbone, l’illusion que l’on pourrait compenser les coûts d’opportunité de la conservation des forêts s’est estompée.
Enfin, les décideurs prennent conscience que, sans investissement préalable dans les systèmes agricoles et alimentaires de pays dits pauvres, il ne peut y avoir de «performances» en matière de lutte contre la déforestation. Ces investissements relèvent largement de l’aide publique au développement. Et ils doivent s’accompagner de réformes (par exemple sur les droits fonciers) que seul un dialogue continu avec les autorités de ces pays peut faire avancer.
En novembre 2013, le manuel reprenant les règles de base de REDD+ a été finalisé. Lors de la session climatique de Bonn en juin 2015, l’accord final a été obtenu. Ainsi se terminaient les négociations pour rendre REDD+, un mécanisme visant à soutenir la lutte contre le déboisement dans les pays en développement, opérationnel[6]. Aussitôt, deux questions interpellent les technologues géospatiaux :
- peut-on connaitre et géoréférencer tous les arbres du bassin du Congo ?
- la comptabilité environnementale, avec en toile de fond le crédit carbone, peut-elle être appliquée au niveau de l’arbre ? Si oui à partir d’un arbre de quel gabarit ?
Par :
Michel TCHOTSOUA
Rédacteur en Chef
[1] https://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/SYR_AR5_FINAL_full_fr.pdf
[2] https://www.cbd.int/abs/doc/protocol/nagoya-protocol-fr.pdf
[3] http://www.afd.fr/home/AFD/developpement-durable/DD-et-strategies/rioplus20/croissance-verte-developpement/initiative-waves
[4] Dans certains pays, des cabinets de Génie Civil ou des Organismes d’Appui Local en Education Maternelle se sont, en quelques jours, mués en Cabinet d’Expertise REDD+ juste pour capter les fonds qui arrivent par ce canal. Et pourtant le mécanisme REDD+ reste bien complexe et nécessite des recherches scientifiques en vue des mesures et quantifications bien plus fines.
[5] http://envol-vert.org/forets-services/en-savoir-plus/2016/01/reflexions-sur-le-systeme-redd/
[6] http://www.climat.be/fr-be/politiques/politique-internationale/convention-cadre-des-nu/attenuation/redd